Depuis une vingtaine d’années, le quartier de la Guillotière à Lyon se transforme. Des bars branchés, tiers-lieu et boutiques instagrammables fleurissent. Conséquence : les loyers augmentent et la zone devient de plus en plus inabordable pour les classes populaires, historiquement présentes. Pourtant, certains acteurs se mobilisent pour freiner ces mutations.
C’est une petite boutique de créatrices à l’encadrure rouge pétillante surmontée de lierre, rue Montesquieu, au cœur du quartier de la Guillotière. À l’intérieur, des blocs-notes à 7 euros côtoient des bracelets en cuir à 60 euros. « Tout est fait main », affirme, tout sourire, l’une des créatrices, Linn Gonidec Messaoui, 49 ans. « C’est ultra local ! Notre atelier se situe à l’étage, complète l’une de ses collègues. Les gens du quartier viennent pour faire des cadeaux. » Cette boutique, implantée depuis 10 ans, se situe à quelques mètres de commerces populaires d’Afrique sub-sahariennes. Elle est un parfait exemple de la gentrification du quartier qui favorise l’implantation de commerces destinés à une population relativement aisée.
La Guillotière, située sur la rive gauche du Rhône, à cheval entre le 7e et le 3e arrondissement, à 200 mètres de la place Bellecour, connaît des mutations depuis une vingtaine d’années. Historiquement très cosmopolite, le quartier a vu arriver une population plus aisée. David Paturel, 46 ans, réalisateur, réside depuis 2002 à la Guillotière. Il témoigne de ce changement : « Il y a eu une évolution très complexe. Depuis le XIXe siècle, le quartier est un endroit d’accueil avec beaucoup de personnes issues de l’immigration. »
« Des cabinets d’architectes et d’artistes »
D’après lui, le tournant s’est produit entre les années 2000 et 2015. « Beaucoup de commerces se sont déployés avec de nouveaux bars et restaurants. La mairie et la métropole ont soutenu leur installation. Des cabinets d’architectes et d’artistes ont vu le jour. Il y a donc eu tout ce développement avec des gens à plus forts revenus dans le quartier », raconte le réalisateur. D’après les chiffres de l’Insee, le taux de cadres et de professions intellectuelles dans le 7e arrondissement est passé de 26,6 à 36,6 % entre 2010 et 2021. En revanche, la présence d’employés et d’ouvriers a reculé : 26,1 % en 2010 contre 20,9 en 2021 pour les premiers et 12,8 % contre 9 % pour les seconds.

Symbole de cette transformation, le garage Citroën, rue de Marseille. Cette ancienne bâtisse créée en 1928 réparait et exposait des voitures. Endroit emblématique de Lyon, le lieu attiraient clients et touristes. En 2011, il a été vendu à un promoteur immobilier. Le garage est devenu le New Deal, un espace high-tech dédié au tertiaire. Les étages sont loués à de grandes écoles de commerce et des portiques empêchent toute intrusion.
Poches de pauvreté, studentification
Christophe Mérigot, directeur du projet Moncey-Voltaire-Guillotière à la Métropole de Lyon, a étudié pendant quatre mois les évolutions sociales et urbaines de la Guillotière. Son rapport, publié le 16 avril 2025, distingue plusieurs processus à l’œuvre : une gentrification, des poches de pauvreté subsistantes et « une studentification », c’est-à-dire une présence accrue d’étudiants avec des colocations et des résidences étudiantes privées. Pour lui, la gentrification du quartier de la Guillotière se caractérise par « les investisseurs, les classes moyennes et cadres supérieurs qui ont investi dans le logement ancien et qui ont contribué à rénover les habitats ».

Ces rénovations ont favorisé l’augmentation des loyers et des ménages aisés se sont installés. « Il y a eu un paradoxe dans les politiques publiques parce qu’on a mis des moyens pour améliorer l’habitat ancien. Les subventions accordées aux investisseurs ont déclenché un mouvement de rénovation qui s’est poursuivi. On n’a pas pu maintenir le caractère populaire des logements », explique Christophe Mérigot.
La résistance citoyenne qui s’est organisée au sein du collectif « La Guillotière n’est pas à vendre » créé en 2019 (et désormais en sommeil), pour dénoncer la construction de nouvelles résidences par des promoteurs privés et par conséquent, la hausse du prix des loyers et de l’immobilier, n’a rien pu faire.
« La régie voulait doubler notre loyer »
Les loyers du quartier de la Guillotière se situent aujourd’hui au-dessus de la moyenne des loyers de l’agglomération : 13,1 euros le m² contre 12,3 euros le m², selon une étude de l’Insee de 2023. « Il y a deux ans, avant la récente baisse des prix de l’immobilier, la Guillotière étaient parmi les quartiers les plus chers de Lyon avec un m² à 5 400 euros contre 6 500 euros sur Brotteaux, la Presqu’île et Monchat », se rappelle Christophe Mérigot, En juin 2025, le m² s’élève à 4 962 euros dans le nord du quartier et 4 693 euros dans le sud, selon le Figaro immobilier.
Florient, 43 ans, gérant d’une boutique d’équipement d’arts martiaux à la Guillotière, cours Gambetta, confirme : « Ça fait des décennies que les prix montent mais là on a quand même une forte augmentation. J’ai habité entre 2009 et 2012 rue Montesquieu. On payait 650 euros pour 50m² avec garage, aujourd’hui ce n’est plus possible. » Depuis, l’homme est devenu propriétaire dans le quartier. Ghislaine Morel, 61 ans, charcutière-traiteuse cours Gambetta, a dû se battre pour ne pas voir le loyer de son commerce doubler : « On est arrivé en 1988, le métro était là depuis 2 ans et la régie voulait doubler notre loyer. On a dû batailler et prendre un avocat pour obtenir gain de cause », souffle-t-elle. Le développement du métro et du tramway a contribué à rendre le quartier plus attractif.
Encadrement des loyers
À la Guillotière, il existe très peu de logements sociaux. En 2021, à la Guillotière selon l’Insee, vers Pasteur il y a 5 % de résidences HLM, vers Universités, 7 %, vers Saint-Michel, 8 %, et vers Prado, 1 %. « Et le reste, c’est un taux très élevé de locataires privés et là-dedans on trouve des familles aisées et des étudiants en colocation », note-t-il. Au 1er janvier 2025, il y a 9 120 logements sociaux dans le 7ème arrondissement et 9 109 dans le 3ème arrondissement. Le 8ème arrondissement, l’un des derniers quartiers populaires de la Ville concentre 15 884 logements sociaux .
Quartier prisé par une certaine élite culturelle, les artistes, les enseignants et les cadres attirés par une certaine authenticité, la Guillotière a pris le même chemin que la Croix-Rousse ou les Pentes. Sans retour en arrière possible ? Piloté conjointement par l’État, la Métropole et la Ville de Lyon, le Programme d’intérêt général (PIG) mis en place en 2019 vise à surveiller les logements en mauvais état et à inciter les propriétaires à les rénover grâce à des subventions. Faute de quoi, des sanctions pouvant aller jusqu’à l’évacuation de l’immeuble peuvent être prononcées. Les locataires sont alors relogés dans le même quartier par les pouvoirs publics, qui rachètent l’immeuble avant de le remettre à un organisme de logement social.
« Entre Moncey, Voltaire et Guillotière, 150 logements sociaux ont vu le jour. » Mais ce processus se fait sur le long terme. « Il faut parfois 10 ans si le propriétaire refuse de se faire exproprier et fait des recours en justice », précise Christophe Mérigot. Grâce à ces acquisitions d’immeubles, les politiques publiques espèrent pouvoir limiter la gentrification.
Autre levier : l’encadrement des loyers. Ce dispositif fixe un plafond au montant du loyer que les propriétaires peuvent demander lors de la location d’un logement, en vigueur depuis novembre 2021 à Lyon. « Ça se met en place doucement, sur le quartier Moncey, on a commencé à informer les locataires de leur droit. » Une initiative plus que nécessaire. Selon l’Observatoire LFC, qui produit des données sur le respect des loyers de référence majorés fixés par l’encadrement des loyers, les dépassements sont plus élevés dans le 7e et le 3e arrondissement que la moyenne des arrondissements. « Environ 38 % des annonces collectées sur le 3ème et le 7ème arrondissement ont des loyers qui dépassent les loyers de référence majorés. Ce pourcentage est plus élevé que dans tous les autres arrondissements, mis à part le 4ème arrondissement », précise Gilles Corbet, responsable de projet à l’Observatoire LFC.
Une mixité sociale recherchée
« Mes enfants ont été scolarisés à l’école Gilbert Dru, rue de la Guillotière. Il y avait des sans-papiers et des équipes d’enseignement qui se mobilisaient pour les gens à la rue », se rappelle David Paturel. « Et ça fonctionne très bien. C’est un quartier avec un large tissu associatif et c’est ce qui lui donne sa richesse. »
Prise entre deux feux, celui de lutter contre la gentrification et celui de construire une image positive d’un quartier compliqué qui défraye la chronique avec ses points de deals, son insécurité croissante et sa saleté, la mairie écologiste cherche un équilibre pour maintenir l’identité multiculturelle du quartier fait de solidarité et d’ambiance de place de village. Ici, on organise des festivals de cuisine du monde. Là, on instaure un droit de préemption commercial pour enrayer la domination des fast-foods et boutiques de téléphonie autour de la place Gabriel-Peri.
En rachetant des commerces et en les rétrocédant à un repreneur, la municipalité souhaite rééquilibrer l’offre commerciale et favoriser l’installation de commerces diversifiés, en cohérence avec la mixité recherchée. Depuis la mise en place de ce dispositif voté en mars 2021, la mairie a exercé son droit de préemption sur trois commerces. Pour quels effets ? La mairie du 7e arrondissement n’a pas souhaité répondre à nos questions malgré plusieurs sollicitations. En tout cas, les habitants de la Guillotière veulent y croire.