La Métropole de Lyon est au cœur de nombreuses batailles environnementales, citoyennes et juridiques. Rejets toxiques dans le Rhône, pollution de l’air à l’école, bétonisation des sols… Ces nouveaux dossiers interrogent et remettent en question le monde judiciaire, partagé entre la volonté de faire bouger les lignes et celle de respecter les textes de lois.
« L’usine est installée en plein centre-ville de Pierre-Bénite. Au pied du terrain de foot et de la piste d’athlétisme. Juste en face, vous avez les barres HLM, la mairie, le théâtre… » Du haut de la passerelle qui permet de rejoindre le site d’Arkema, producteur historique de substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS), Thierry Mounib dresse le panorama de cette ville du sud-lyonnais dans laquelle il vit depuis 71 ans. Il l’a vue se transformer, s’industrialiser. Les géants de la chimie s’installer, parfois repartir. Jusqu’au jour où un journaliste l’interroge : « Vous connaissez les PFAS ? »
À la tête de l’association de riverains Bien Vivre à Pierre-Bénite, l’homme saisit, dès 2023, le tribunal administratif de Lyon pour dénoncer les « infractions au code de l’environnement » de l’usine Arkema. Soutenu par dix autres associations et 47 particuliers, il veut « stopper les rejets de PFAS dans le Rhône » et obtenir la « mise aux normes » de cette usine qui ne cesse de s’étendre.
Quelques kilomètres plus au nord, Renaud Pierre a, lui aussi, saisi la justice lyonnaise en 2023. À l’époque, son constat est alarmant : des capteurs ont révélé que l’air de la cour de récréation de l’école Michel-Servet, dans le 1er arrondissement de Lyon, était polluée au dioxyde d’azote. Soutenu par GreenPeace France, un collectif de parents d’élèves réclame des mesures pour réduire cette pollution du tunnel de la Croix-Rousse, dont la sortie est en contrebas de l’établissement. Un recours devant le tribunal administratif de Lyon est déposé contre l’inaction de la Ville de Lyon, de la Métropole et de l’État.

Comme Thierry Mounib et Renaud Pierre, les habitants de la Métropole de Lyon sont chaque année un peu plus nombreux à saisir les tribunaux pour dénoncer des atteintes à l’environnement et protéger leur cadre de vie. En cause : une « augmentation des atteintes à l’environnement », constate Philippe Billet, enseignant-chercheur en droit de l’environnement à l’université Lyon 3. Et s’il « n’existe pas de statistiques » précises à ce sujet, « la pratique permet facilement de constater » qu’il y a une augmentation des contentieux dans le domaine.
« À l’horizon 2030, Lyon va devenir la capitale
de l’environnement »
La métropole lyonnaise est un terreau fertile pour ces recours environnementaux. Région historiquement industrielle, berceau de la vallée de la chimie, elle concentre de nombreuses installations classées responsables de fortes pollutions. Les riverains s’inquiètent pour les zones naturelles, mais aussi pour leur cadre de vie.
« À l’horizon 2030, Lyon va devenir la capitale de l’environnement », prédit Roxane Chambaud-Olives, co-présidente de la Commission environnement du Barreau de Lyon. Une formulation ambitieuse : d’ici quelques années, la métropole lyonnaise pourrait concentrer un nombre croissant de contentieux liés à la pollution de l’air, à la qualité de l’eau, à l’artificialisation des sols ou encore à l’inaction climatique. « La tendance de fond est très lourde », ajoute Hugues Rollin, l’autre co-président de la Commission. À les écouter, ce sont les dossiers d’urbanisme qui vont exploser.
Philippe Billet prédit aussi la « multiplication des petits contentieux ». « Pistes cyclables », « entretien des arbres », recours contre des permis de construire menaçant des espaces verts… Les citoyens « sont mieux outillés, plus armés » pour défendre l’environnement à l’échelle du quotidien, constate Philippe Billet, qui préside l’Institut du Droit de l’Environnement de Lyon.
« Le contentieux est de plus en plus technique »
L’élan est venu de l’explosion du nombre d’avocats capables de les accompagner. Alors que seulement quatre cabinets de droit de l’environnement existaient à Lyon en 1990, le barreau de Lyon comptabilise 31 avocats spécialisés en droit de l’environnement. « Leur force de frappe, de réponse, explose. »
Une tendance confirmée par Hugues Rollin, avocat spécialisé en droit de l’environnement et co-président de la « Commission environnement » du Barreau de Lyon. Dans les bureaux de son cabinet situé sur les quais de Saône, il constate une « augmentation du conseil en environnement », qui était jusqu’ici « un secteur niche ». « De plus en plus de personnes prennent conscience que le droit de l’environnement est un moyen à soulever pour obtenir la réparation de son préjudice, notamment écologique », reconnaît l’avocat, qui accompagne aussi bien une fédération de pêche que des porteurs de projets ou des collectivités territoriales.
Les dossiers, eux aussi, évoluent. « Le contentieux est de plus en plus technique, et il se complexifie », confirme Philippe Billet. La cause ? « À chaque victoire dans un contentieux, il y a un contre-feu allumé par l’État pour modifier la réglementation ». Les procédures, elles, sont plus longues, plus complexes. Et « les dossiers prennent de l’ampleur », confirme le chercheur.
Des magistrats « intéressés » mais trop peu formés
Tous s’accordent à dire que les juridictions lyonnaises se heurtent à un « manque de moyens humains » pour examiner et juger ces nouvelles affaires. Certes, « les magistrats sont des gens de notre époque » conscients des enjeux environnementaux mais « ils manquent parfois de formation ». À l’École Nationale de la Magistrature, « l’ensemble des élèves bénéficie du module transition écologique d’une trentaine d’heures » composé de conférences et de cours de « sensibilisation ». Mais les magistrats finissent par « se former sur le tas », regrette Philippe Billet.
Résultat : les contentieux environnementaux ne sont pas jugés partout de la même façon. Les magistrats du tribunal administratif de Lyon, eux, sont encore « très techniciens », commence par distinguer Roxane Chambaud-Olivesi. « D’un point de vue politique, certains projets pourraient aller dans le sens de l’histoire. Mais si d’un point de vue légal, le projet respecte la loi et doit être autorisé, ils suivront cette voie-là. »
Thierry Mounib dresse le même constat. Amer, il regrette de « ne pas être entendu par les tribunaux » et assure même être « tombé sur le derrière » en apprenant que son dernier recours en justice contre le géant de l’industrie Arkema, jugé irrecevable, avait été rejeté en mars 2025. « On connaît la force de l’argent… », lance-t-il à la volée. À tel point que le septuagénaire envisage même de « baisser les bras ». Ce qu’il veut, lui, c’est « protéger nos enfants et nos petits-enfants de cette pollution ». « C’est pour eux qu’on le fait. »

« Avec le rapporteur public, la DREAL, l’OFB, il y a une volonté de bien travailler pour la protection de l’environnement », se félicite la Fédération nationale de l’environnement (FNE) du Rhône qui se réjouit que les magistrats soient « de plus en plus concernés ». « Protection des zones humides », « forage illégal de l’entreprise Béton Lyonnais », « retenue collinaire sans autorisation » ou encore l’implantation d’un champ photovoltaïque sur une zone naturelle : l’association souligne la « bonne entente » qui règne dans les juridictions lyonnaises.
Des magistrats judiciaires « plus enclins
à s’inscrire dans le sens de l’histoire »
De leur côté, « les magistrats du tribunal judiciaire sont plus intéressés par ces sujets, et plus à l’écoute du positionnement des parties », estime encore Roxane Chambaud-Olivesi. « Ils sont plus enclins à s’inscrire dans le sens de l’histoire et peuvent se laisser convaincre par le fait politique. » Une opinion partagée par l’association Extinction Rébellion, dont huit militants ont été relaxés, en mai 2025, par la cour d’appel de Lyon après s’être introduits sur le site de l’usine d’Arkema en mars 2024.
« Un geste politiquement fort », se réjouit aujourd’hui l’association, qui a l’impression d’avoir été « entendue » : « Les deux audiences ont été assez longues [10 heures en première instance, 14 heures en appel, ndlr], ce qui a permis de ‘retourner’ le procès, de poser un contexte et d’expliquer notre action. »
Les magistrats, qu’ils soient administratifs ou judiciaires, restent avant tout des hommes de loi, « pas des militants », tempère Hugues Rollin. Pour l’association Extinction Rébellion, la voie des tribunaux est « une voie utile, mais pas la seule. Les luttes victorieuses sont souvent celles où on arrive à multiplier les recours ». Il faut agir en amont, sur le terrain, pour faire pression ou montrer la voie. Car à force d’attendre des décisions, il arrive que la justice, elle aussi, prenne du retard sur l’urgence du climat.
« La question du délit environnemental est ultra sous-estimée, c’est hallucinant qu’on laisse les habitants se démerder seuls alors que ce sont des problèmes de santé publique. La justice est en retard par rapport à la société, elle s’inscrit dans un mouvement conservateur », déplore avec regret Renaud Pierre. En mars 2023, le collectif des parents de l’école Michel-Servet était finalement débouté par le tribunal administratif de Lyon. Et renonçait à faire appel. « On était trop avant-gardiste. Les magistrats sont à des années-lumière de ces problématiques environnementales », se remémore le père de famille, pointant un « ordre de priorités » à mille lieues de celui des parents d’élèves : « C’est fou de priver les enfants d’une cour de récré pour pouvoir faire rouler des voitures. »
En 2024, la mairie de Lyon a annoncé débloquer six millions d’euros pour la « rénovation » de l’établissement, et notamment du système de ventilation afin d’y améliorer la qualité de l’air. Le chantier n’a pas débuté.